Par les champs-chants
de Nouic à Nouic
« Les mythes aborigènes de la création parlent d’êtres totémiques légendaires qui avaient parcouru tout le continent au Temps du Rêve. Et c’est en chantant le nom de tout ce qu’ils avaient croisé en chemin – oiseaux, animaux, plantes, rochers, trous d’eau – qu’ils avaient fait venir le monde à l’existence. » (dans Le chant des pistes, de Bruce Chatwin).
Ces «chants des pistes», cartographies invisibles et itinéraires chantés par les aborigènes et transmis de générations en générations, leur permettraient, aujourd’hui encore, de rester connectés entre eux et à leurs ancêtres et de se transmettre leur Histoire à leur façon…
En mai 2018, nous sommes invitées à venir jouer France Profonde par le Théâtre du Cloître, à Bellac dans la Haute-Vienne. Les deux représentations vont se passer à Nouic, dans un ancien hangar à matériel agricole du Château du Fraisse, bâtisse de plus de 800 ans d’histoire rocambolesque, où se fêtent aujourd’hui mariages et séminaires d’entreprises… L’équipe du théâtre nous demande si nous pourrions imaginer quelque chose qui permettrait de faire savoir ce rendez-vous au-delà de leur réseau de public habituel, et notamment aux agriculteur·rices nombreux et nombreuses à vivre et faire vivre ce territoire.
Nous partons donc par les champs, en chantant. De Nouic, jusqu’à Nouic en traçant une grande boucle à pied pendant 4 jours. Librement inspiré·es de notre lecture de Bruce Chatwin et des mythologies aborigènes, nous traversons parcelles, hameaux, prairies et bois. Nous marchons à la rencontre des habitant·es de ce territoire vaste et vert truffé de recoins, aux aguets de la poésie de l’instant présent et de la toponymie. Nous dormons le soir dans la “botte-mobile”, une caravane enroulée dans de la paille (pour l’isolation thermique et la curiosité qu’elle suscitera) accueilli·es sur des terres municipales ou des terrains privés. En chemin, à trois, s’écrira un « chant des pistes » dont nous transmettons des bouts jour après jour sur le marché, dans une école, le soir au conseil municipal ou autour de tablées réjouissantes. Les champs rouges, les champs mouillés, les champs jaunes, les Grands Champs…
Au final, ce chant des champs parcourus, tout autant humains que géographiques, sera transmis à une chorale de Bellac lors d’une cérémonie “officielle” où nous irons décoré·es de nos coiffes rituelles (plumes d’oies et canards de la ferme familiale pour l’une, plumes de goélands, buses et cigognes pour l’autre, et pinces à linge pour le dernier).
La partition de cette piste chantée, longue de 15 m, est accrochée dans la grande salle du château les deux soirs de représentation du spectacle. Le rendez-vous donné à la croisée des chemins est honoré par de nombreuses personnes rencontrées. Nous avions commencé par boire le thé dans la cour avec Madame la marquise et son marquis. Nous finirons par manger une soupe faite dans la cuisine du château avec les orties arrachées des plates-bandes de rhododendrons enfrichées. Le grand vent s’est engouffré dans nos plumes et de l’air chaleureux dans nos poumons.
« Par les champs, pour les chants, par le champ parlez! »…
Nous revenons avec une émotion qui a quelque chose à voir avec la nuit des temps.
Va dans la prairie par un grand vent d’hiver et Petit ver de terre propriétaire de terre, déjà connues du public dans France Profonde, ont emmené avec elles par les champs-chants, Mozikan le jeune à la langue malpolirythmique (autrement nommé Jaime Chao, poète de l’instant présent et membre de la tribu des vocalchimistes).