Le bout du monde
Nous avons été invitées pour nos qualités de baroudeuses tout-terrain par notre amie artiste, Julie Chaffort, à partager un volet du projet qu’elle menait au LEGTA de Bourges (dans le cadre d’un 1% artistique).
Projet d’exploration pédestre autour du territoire le Subdray durant 3 jours et 2 nuits
Par une dizaine d’élèves du LEGTA de Bourges
Décembre 2014
C’est de là qu’est née notre envie de poursuivre les rencontres et aventures artistiques avec des jeunes en formation agricole, parallèlement à notre recherche pour l’écriture de France Profonde.
LE BOUT DU MONDE ou comment survivre en milieu rural ?
Point de départ : une artiste en résidence dans un lycée agricole, des jeunes en quête d’un avenir les impliquant sur un territoire, un territoire rural et agricole habité par des gens.
Et une furieuse envie sans cesse renouvelée de poser des questions sur le monde qui nous entoure, qui nous touche de près ou qui nous échappe de loin. Des questions comme des directions qui tracent des chemins et ouvrent des voies. Qui nous poussent à aller de l’avant, à ne pas nous contenter de ce que nous connaissons, mais sans cesse repousser les limites des préjugés, des peurs de l’inconnu et des autres, faire s’ouvrir des portes, surprendre et se laisser surprendre, créer des liens inédits.
Cette fois-ci la question c’était « C’est quoi être un agriculteur aujourd’hui ? ».
Parmi nous que des gens impliqués par les territoires. Chacun à sa façon. Futurs agriculteurs. Futurs agents de développement culturel, social, économique de territoires. Futurs créateurs de réseaux d’aides aux personnes. Natifs du coin. Néo-ruraux. Artistes marcheuses passionnées des paysages affectifs. Ou encore cinéaste amoureuse de paysages désertiques aux cadres immobiles laissant la vie nous frapper de plein fouet dans la contemplation…
Trois jours durant, nous avons exploré le territoire, les limites du privé et du public, les passerelles qui rendent perméable ces deux espaces. En cheminant, nous nous sommes inscrit dans le paysage agricole, où l’homme trouve de moins en moins sa place. Car aujourd’hui, c’est la machine qui est souveraine, on ne parcourt plus un sillon à pied mais en tracteur. Nous ne savions pas où nous allions dormir et dans la rencontre avec l’autochtone nous avons trouvé où planter la tente. Un couple d’agriculteurs nous a ouvert les portes de son silo à grains pour y passer la nuit, le maire d’un petit village nous a invité à dormir dans sa salle des fêtes. Pour ces gens c’était parfois un acte citoyen ou une évidence. Pour notre groupe une aubaine.
Le bout du monde. C’était le nom d’une parcelle agricole sur la carte IGN.
Et voici soudain la formidable opportunité de se mettre en route avec la fantaisie de prétendre aller au bout du monde. Jouer avec l’indication que, sans doute, nous n’allions pas trouver autre chose que rien de plus que ce que nous allions avoir traversé pour y arriver.
Mais au fond de nous la sensation que aller au bout du monde ici, c’est aller plus loin que loin, c’est franchir la limite de la poésie, c’est marcher sur un chemin inutile, et par là même faire de notre route un acte symbolique. Charger ce paysage de notre histoire singulière. Dégager de la situation proposée sa valeur comique. Pour ne surtout pas se prendre trop au sérieux dans ce monde complexe, où se côtoient les géants de l’industrie agro-alimentaire, les petits partisans de la décroissance, les paysans en reconversions vers le bio, les écologistes, les chasseurs, les pêcheurs peinards, les randonneurs, les cueilleurs de champignons…
Rire d’être les chevaliers à sac à dos d’une citadelle de paille pourrie, d’un royaume en décomposition, emprunter le chemin des maisons neuves à Villeperdue, franchir des gués et des défenses d’entrer, questionner la propriété privée, faire attention aux sorties de tracteur, se prendre pour le Grand Meaulnes ou Alfred Hitchcock, planter sa tente dans une salle des fêtes, faire équipe de super héros en cape de pluie, en avoir plein le cul, avoir un mal de pied de chien, être obligés d’arrêter, continuer, prendre son petit déjeuner au bar de France,… et dessiner sur la carte les chemins empruntés au territoire qui nous relient maintenant à jamais dans notre géographie affective. Dans un petit bout d’Histoire sensible ayant comme bœuf la curiosité, comme charrue l’impertinence et comme terreau l’humanité.
.