Ère de l'aventure
Un jour ordinaire, automne 2008. On se retrouve à la terrasse du Passage St Michel, un de nos “bureaux” dans le quartier. On boit un café et Cécile nous raconte comment après de multiples tergiversations et après avoir bien pesé le pour et le contre, elle a fini par décliner une proposition d’écriture qu’on vient de lui faire : “étudier les héroïnes féminines dans les romans de Jules Verne afin d’intégrer une grande fresque contée qui rendrait compte du génie visionnaire de cet auteur en prise avec les découvertes scientifiques et les problématiques de son temps… “ On laisse passer Constant, le clochard qui pique les petites cuillères et les sucres dans les sous-tasses. Puis on élabore une contre-proposition que nous adresserons à la Maison Jules Verne : pour parler d’aventure, il faut la vivre.
Quelques semaines plus tard nous partons à Amiens, avec nos sac-à-dos qui contiennent l’essentiel. C’est le début d’une ère extra avec du vent dans les cheveux. L’ère de l’équipage. Avec des ingrédients savoureux à partager en bande : anticonformisme, désir d’explorer, besoin de liberté, aptitude au risque.
C’est quoi être un·e aventurier·ère aujourd’hui dans le monde dans lequel on vit ?
Voilà la nouvelle question qui nous obsède.
Certains se moquent un peu…“L’aventure ? Ben c’est la vie.”
Nous voulons traverser l’océan Atlantique en bateau, nous voulons embrasser toutes les directions de la rose des vents, nous voulons marcher 20 km à pied pour nous rendre sur nos lieux de rendez-vous avec le public.
En rentrant d’Amiens en mars 2009, nous coupons le mot extraordinaire en 2. Et nous choisissons de chevaucher le trait d’union qui relie ce qui pour certain·es est ordinaire et pour d’autres extra. C’est là que nous semble se nicher l’aventure (et la vie) ! Nos voyages sont des immersions dans des réalités inconnues. Notre moteur c’est la sérendipité: trouver ce qu’on ne cherche pas, en cherchant ce qu’on ne trouve pas. Et surtout, rencontrer l’autochtone !
“J’ai le trac. Je suis dans mon costume d’aventurière. Je regarde mes camarades, sac au dos et rouge à lèvres. De quoi sommes-nous capable ensemble ?”
On s’est mises en jeu et en chemin, en groupe et en solitaire. On s’est beaucoup exaltées à se frotter au monde. On a fait des rencontres innombrables et inoubliables. On a traversé quelques tempêtes, franchi des gués, atteint des limites. On a mis en perspective nos libertés de circuler, dire, et inventer.
“Pour qu’il y en ait qui partent, faut bien qu’il y en ait qui restent”, dit la grand-mère de Bénédicte. “L’important n’est pas d’où on vient, mais d’où on parle”, dit notre ami François Mauget. “On croit faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui nous fait ou nous défait”, dit Nicolas Bouvier. C’est de cette façon-là que nous écrivons finalement un spectacle fin 2012, Voyage extra-ordinaire, et éditons un petit carnet rouge. Que la marmite du Sophro-épluchage devient la Marmite-Mobile. Que nous avons mis en mouvement des récits (Bernache, La Zone du Dedans, …). Que nous avons imaginé des rendez-vous comme des bivouacs (À l’Aventure).
L’équipage s’agrandit, Lucie nous rejoint à l’automne 2014. L’embarcation prend tout de suite la forme de quatre visages.
De ces années de recherche et d’intrépidité on garde des fondamentaux, c’est sûr, comme la camaraderie qui nous soude. “Pour monter sur un bateau faut enjamber le vide, faut sauter, faut quitter le quai qu’on connaît par cœur, même avec la peur au ventre…”